Jacques Gardelles ( 1920 - 1994)
La Science et le Devoir :
Jacques Gardelles
Dans la nuit du 26 au 27 février 1994, une embolie terrassait Jacques Gardelles, alors qu'il était en plein travail à son domicile de Pessac,
Jacques Gardelles, Professeur émérite de l'Université Michel de Montaigne Bordeaux III, avait été titulaire de la chaire d’Histoire de l’Art du Moyen Age de 1969 jusqu’à son départ à la retraite en 1986.
Né en 1920 Saint-Estèphe, dans le Médoc, ou son père, instituteur, enseignait alors, Jacques Gardelles fit ses études au Lycée Montaigne, puis à la faculté des Lettres de Bordeaux. Après avoir été reçu à l'agrégation d’Histoire, il fut professeur aux lycées de Mont--Marsan et d’ Arcachon, et ensuite dans les lycées Montesquieu et Montaigne de Bordeaux. Très vite il entama une carrière de chercheur et se voua aux études d’Histoire de l'Art du Moyen Age. Il eut alors pour Maître un des plus grands noms français de cette discipline : Elie Lambert, auprès duquel il acquit la rigueur scientifique qui est le fondement de tous ses travaux. Docteur ès Lettres en 1952, grâce à une thèse qui fit date sur la cathédrale Saint-André de Bordeaux, il devint Maître de conférences à l’Université de Lille, enfin Professeur à l’Université de Bordeaux.
Ancien Président de la Société Archéologique de Bordeaux de 1974 à 1976 et ancien membre du conseil la Société française d’ Archéologie, Jacques Gardelles était un spécialiste reconnu de l'art du Moyen Age, tant sur le plan national qu’international. Ses savantes recherches le conduisirent à publier une centaines de titres - livres et articles - parmi lesquels il faut détacher : La cathédrale Saint-André de Bordeaux (1963), Les châteaux du Moyen Age dans la France du Sud-Ouest . la Gascogne anglaise de 1216 à 1337 (1973), Le château expression de la société féodale (1980), Bordeaux cité médiévale (1989), L’Aquitaine gothique (1992). On notera également ses remarquables participations à l’Histoire de Bordeaux dirigée par Charles Higounet, et a diverses importantes expositions telles que Bordeaux 2000 ans d’histoire (1971) ou Sculptures médiévales de Bordeaux et du Bazadais (1974).
L' énoncé de ces quelques titres laisse déjà entrevoir que Jacques Gardelles consacra l’essentiel de ses recherches à l’art médiéval de l'Aquitaine et des régions proches. La bibliographie de Jacques Gardelles, qui est présentée à la suite de ces lignes, confirme totalement que telle fut, en effet, son orientation de chercheur. L'avantage de la démarche est évident : grâce à la convergence de très nombreuses études concernant des monuments situés entre les Pyrénées, et les pays de Garonne et de Dordogne, Jacques Gardelles a pu fonder, sur des bases plus solides que celles établies par ses prédécesseurs, l’histoire des Edifices construits au Moyen Age dans le Sud-Ouest de la France, et souvent même il l’a entièrement renouvelée. Dans ces perspectives, ses monographies de la Cathédrale Saint-André de Bordeaux, des églises Sainte-Croix de Bordeaux, de Saint-Maurin, en Agenais, de Saint-Orens de Larreule, en Bigorre, de l'abbaye de La Sauve-Majeure ou du cloitre de Saint- Avit Sénieur, en Périgord, apparaissent comme les fruits d'une réflexion, solidement étayée par l'analyse architecturale, qui parvient à dévoiler les ressorts les plus secrets de la création des œuvres. Il faut dire aussi que Jacques Gardelles a donné une forte impulsion å la castellologie régionale par sa thèse secondaire pour le doctorat d'Etat, et par une foule d'articles qui font autorité auprès des spécialistes de la fortification au Moyen Age. Au reste, sous sa direction plusieurs de ses meilleurs élèves se sont intéressés aux châteaux du Sud-Ouest et de l'Espagne du Nord.
Le rôle de Jacques Gardelles au sein de la Société Archéologique de Bordeaux montre bien l’importance qu'il accordait aux études locales. Jusqu'ă la fin, il fut pour la Société un conseiller avisé. De nombreux cycles annuels de conférences furent ainsi mis sur pied à son instigation, notamment celui traitant du confort dans l'habitat médiéval, qui était en cours de déroulement au moment de sa disparition, et pour lequel il aurait dû prononcer, si la mort ne l'en avait empêché, une de ces brillantes conférences qui passionnaient son auditoire.
Mais tout ceci ne doit pas faire oublier que Jacques Gardelles était également un des savants français les plus appréciés par l'ensemble des chercheurs en Histoire de l'Art du Moyen Age. Il devait sa renommée å l'excellence de sa méthode de recherche, et aussi à des travaux de synthèse qui furent très remarqués, et qui révèlent, d'ailleurs, la vaste étendue de son savoir. Citons-en quelques-uns : Le palais dans l'Europe occidentale chrétienne, Recherches sur les origines des façades à arcatures des églises médiévales, Les maquettes des effigies de donateurs et de fondateurs, Les deux fonctions de la porte dans l'architecture castrale du Moyen Age. . .
On ne sera donc pas étonné de constater que l'activité scientifique menée par Jacques Gardelles lui avait valu une grande considération au sein de l'Université. Un témoignage lui en avait été récemment apporté de son vivant, lorsque son nom fut donné à la bibliothèque du Centre Léo Drouyn, qui est le centre de recherche en Histoire de l'Art du Moyen Age de l'Université Michel de Montaigne, et qui est installé à Bouliac.
Jacques Gardelles était aussi un personnage exceptionnel par certaines de ses qualités morales. Pendant la seconde guerre mondiale son respect de la personne humaine, son courage, son abnégation, l'avaient entraîné à refuser de laisser s'accomplir sans réagir les horreurs nazies, et en conséquence il était entré dans une organisation de la résistance. Dès 1942 il fut déporté dans un camp de concentration, et il vécut dans l'enfer des camps jusqu'en 1945. Cette terrible épreuve l'avait profondément marqué physiquement et, après sa libération il mit plusieurs années à recouvrer la santé. Au demeurant, sa discrétion, sa modestie lui avaient toujours interdit d'évoquer les souffrances qu'i1 avait endurées, et ce ne fut qu'à l'occasion de son décès que l'on apprit par la presse qu'il était titulaire de la Croix du combattant volontaire de la Résistance, de la Croix de guerre 39-45, de la Médaille militaire et qu'il était Chevalier de la Légion d'Honneur.
Même si les douloureuses expériences qu'il avait vécues dans les camps nazis affectaient parfois encore, après tant d'années, son jugement sur les hommes, d'un certain pessimisme, Jacques Gardelles avait toujours su garder intact son sens de l'honnêteté et de la justice et il croyait en l’amitié. Ainsi, sa disparition déjà si regrettable parce qu'elle vient interrompre une œuvre magistrale, est-elle, en outre, une perte irréparable pour ses nombreux amis, au rang desquels il compter, bien sûr, les membres de la Société Archéologique de Bordeaux.
Jacques Lacoste
Revue archéologique de Bordeaux, tome LXXXIV, Année 1993.